J'ai l'impression que ma tête essaie d'exploser, de faire éclater les parois de mon crâne, ce n'est pas précisément agréable.
J'ai le pollen dans le nez bouché, dans les yeux gonflés, dans la gorge qui gratte.
J'imagine demain sans entrain.
Parler toute la journée me fatigue, si je dois me coltiner en plus une allergie tardive au printemps, ce sera encore plus drôle.

Evidemment, on va se moquer gentiment de moi.
Il y a aura Fred, qui commentera ma voix cassée et nasale, les autres que je connais trop peu encore.
Oh, t'es malade ?
Qui me connaissent par procuration, en ayant connu ma mère. A vrai dire, ce n'est pas toujours à  mon avantage, quelques fois les sourires sont crispés : ma mère est franche, un rien froide, et passablement fouteuse de merde.

Il y a aussi Laurent. Qui m'écoute. Me surveille. Me supervise. Il regarde par dessus mon épaule ce que je griffonne sur ma feuille, il reste derrière moi pour entendre. Comme faisaient les profs quelques fois pendant les tests, ça me rend affreusement nerveuse. 
Et quand je lève machinalement la tête, que je le vois souriant derrière la vitre de son bureau, le regard sur moi, je sais qu'immanquablement, c'est ma génitrice au téléphone et qu'il commente les grimaces que j'adresse aux gens que j'ai au téléphone ou mes sourires.

Il en sait probablement plus sur moi que je ne le pense, quelque part ça me met mal à l'aise.
Mais il est sympathique.
Et il adore les maths.
J'avais un bon a priori sur lui, en dehors de tout le bien dont en dit ma Mouman.

Il y a un an et demi, peut-être deux, il discutait avec ma Mouman de maths et de moi.
Lui voulait faire de la recherche, il a dû arrêter ses études et n'a jamais pu les reprendre. Moi je découvrais aimer les maths et ma mère s'effrayait de l'enseignant qui disait combien le prof de seconde avait été déçu par ma décision de ne pas aller en S, et qui vantait mon esprit profondément mathématique. Elle qui avait lancé ma carrière de lectrice, me voyait brandir les maths à bout de bras comme d'autres la flamme olympique. Ca ne lui plaisait pas tant.
Au cours de cette conversation, Laurent en est venu à évoquer un livre sur le Dernier Théorème de Fermat. Qu'il avait dévoré, qu'il proposait de me prêter.
Je l'ai lu, probablement plus lentement que lui. Avec plaisir, disons-le, et même si pas mal de notions m'étaient sombres, j'ai suivi l'ensemble.
Il a été impressionné, m'a offert le livre. Ca m'a touchée, du coup.

J'y repense souvent, et je n'ai pas eu le temps de parler maths avec lui. Mais je le ferai, sûrement.

Je parle musique, gens, souvenirs, même cinéma, et livres, avec Fred. (Fred, l'Ami retrouvé ! Comme c'est agréable de sentir que notre complicité n'est même pas partie.)
J'échange quelques mots avec d'autres, souris à celles qui s'entendaient bien avec Mouman et me sourient chaque fois que nos regards se croisent. Et j'essaie d'expliquer à Caroline comment on aime les maths, et pourquoi je trouve ça marrant.

Et je laisse mon esprit vagabonder quelques fois. Trop même, mais ça on a l'habitude.